Interview de Jean-Marie PEPERS, directeur en charge de la sûreté pour la Caisse nationale des allocations familiales

Publication originale : Décembre 2021

Depuis 2016, Jean-Marie Pepers est le directeur national “continuité d’activité et sûreté” à la CAF. L’homme évoque pour nous ses missions en matière de sûreté au sein de cette caisse « inscrite dans le tissu social français ». 

Quels sont vos fonctions au sein du réseau des Caf et votre périmètre d’action ?

Directeur en charge pour la Caisse Nationale des allocations familiales de la sûreté. À ce titre, j’anime un réseau de collaborateurs de la caisse nationale et des 101 caisses d’allocations familiales qui ont chacune une autonomie de gestion. Au niveau de chaque Caf, nous avons depuis 2017 un ou deux responsables en charge de la sûreté nommés par leur direction. Notre souci est d’associer les acteurs locaux, car la sûreté est l’affaire de tous. C’est donc le cas pour les 35 000 salariés répartis partout en métropole et outre-mer.

C’est une mission passionnante consistant à fédérer autour d’une stratégie nationale l’ensemble des acteurs et d’accompagner chaque Caf dans un domaine peu ou pas pratiqué par le passé. En effet, si nous avons récemment fêté les 70 ans de la Sécurité Sociale, encore récemment chaque caisse gérait au mieux ce sujet de la sûreté. Mais comme vous le savez, le contexte a profondément évolué depuis les deux dernières décennies. La vague d’attentats qui a marqué la France depuis 2012 a bouleversé l’approche que pouvaient faire des institutions comme la nôtre qui a plus de 4 500 implantations territoriales et points de contact. Effectivement, nous avons constaté de réelles attentes des salariés et des responsables lors de la mise en place de la démarche nationale de sûreté

Depuis le mois de mars 2020, les Caf sont en première ligne afin d’assister les allocataires. De quelle manière se sont déroulées ces opérations dans un climat sanitaire extrêmement compliqué ?

Les tensions sont là. Le champ du social est délicat, mais aussi extrêmement positif dans la mesure où nous apportons des réponses personnalisées à des situations individuelles et familiales parfois complexes. Notre action nous place parfois au cœur des tensions que vivent les personnes. Nous sommes confrontés depuis plusieurs années, et parfois de façon vive, à ce que nous appelons des « incivilités ». La crise COVID et les périodes post confinement ont révélé des phénomènes de décompensation psychologiques aboutissant parfois à des mouvements violents, peut-être en moins grand nombre puisque nos locaux ont dû être fermés en début de crise COVID puis progressivement réouverts. En 2021, nous avons été très marqués et affectés par le décès d’un agent d’accueil de Pôle emploi suite à une agression. Nous avons témoigné notre profonde solidarité envers nos collègues de Pôle Emploi.

C’est aussi un peu notre hantise de devoir faire face à ce genre de situation. Nous avons fait face à plusieurs reprises à des agressions violentes, notamment avec l’usage de couteau. En 2021, nous avons déjà recensé huit menaces de mort. Même si dans la grande majorité des cas les espaces d’accueil sont calmes et agréables, nous ne pouvons tolérer que nos agents ne soient agressés sous aucune forme que ce soit. Nos collaborateurs ne peuvent pas aller au travail avec la boule au ventre.

Avez-vous pris des mesures concrètes pour renforcer la sécurité dans les agences ? 

Nous avons une stratégie nationale et progressive d’élévation de la sûreté dans toutes les Caf. Nous multiplions les formations pour les directeurs et les responsables de nos caisses. Également cela se traduit par la mise en place de dispositifs actifs et passifs de sûreté, des rencontres avec les salariés concernés, des moyens supplémentaires. Lorsqu’un incident survient, cela se traduit souvent par la mise en place d’un agent de sécurité, mais surtout par le développement de la sûreté. Plus synthétiquement, notre approche de la sûreté est une démarche globale qui adresse tous les aspects d’une politique de sûreté. Elle vise à dissuader tout acte de malveillance.

Comment fonctionne le travail des agents de sécurité au sein de vos caisses ?

Nous faisons appel à des prestataires avec qui nous dialoguons sur tous les aspects de la sûreté dans nos locaux placés sous leur surveillance. Le style de l’intervention, le bon endroit, les bonnes postures, un dialogue entre l’équipe d’accueil et les agents de sécurité…nous préconisons notamment que les agents de sécurité aient un poste de travail identifié au même titre que les autres membres de l’espace d’accueil. Nous préconisons une réunion mensuelle ou bimensuelle avec le prestataire pour faire le point du service rendu et relire les incidents qui ont pu survenir.

Nous avons également fait appel au CNAPS qui est en charge de la profession des agents de sécurité pour avoir un dialogue avec la profession. L’objectif de toutes ces démarches a été de s’assurer que nous étions bien en phase avec les attentes de la profession pour gérer au mieux nos différentes situations de crise.

Quelles sont les mesures mises en œuvre dès lors qu’une agression se déroule dans vos locaux ?

Nous avons environ 3 000 incivilités recensées par an dans une base de données qui permet d’enregistrer l’incident avec le récit de l’agent victime et un retour du responsable. Lorsque l’incident survient, nous sommes très clairs : c’est tolérance zéro. Même si la situation sociale est difficile, nous n’acceptons pas que l’agent d’accueil soit malmené moralement, psychiquement ou physiquement. Notre discours affiché dans toutes les Caf est « si vous venez à la Caf avec un problème et que vous agressez l’un de nos agents, vous repartez avec deux problèmes ».

Donc cela se traduit par un dépôt de plainte systématique. Tous nos agents sont accompagnés et formés à faire ce dépôt de plainte. Nous nous portons partie civile et nous sommes suivis assez souvent par le Procureur de la République. Au-delà des décisions juridiques, nous indiquons parfois à la personne qui a agressé l’un de nos agents que désormais, il prendra contact avec nous uniquement à distance. En général, les personnes regrettent leurs gestes et s’excusent. Nous ne faisons pas de compromis avec la sûreté de nos collaborateurs et des personnes qui viennent dans nos espaces d’accueil.

Comment faites-vous pour garder cette tolérance zéro tout en prenant en compte le côté humain qui est primordial à la Caf ?

Je vais vous parler avec une certaine passion, mais avec raison également. Dans l’ADN des agents d’accueil de la Caf, la place de l’humain est souvent première. C’est remarquable. J’ai envie de dire que ce supplément d’âme qui est caractéristique des agents d’accueil permet souvent de dénouer les tensions, sauf cas très particuliers.

Si la prise en compte des situations individuelles est première dans notre approche de l’accueil des personnes, nous veillons aussi à proposer une offre globale de services. Au-delà des prestations individuelles, nous proposons le plus large accès possible aux droits et des prestations extra-légales. Suite à un projet de naissance d’un enfant par exemple, nous allons pouvoir échanger avec les parents à propos des solutions de garde de l’enfant. Les personnes sont souvent surprises de cet accompagnement.
En résumé, nous faisons de la sûreté un point d’équilibre entre un accueil qui doit rester très accueillant et des dispositifs de sûreté efficaces et opérationnels en cas de besoin.

Quels sont les risques et donc les solutions à mettre en place dans le futur ?

Les risques de malveillance sont présents et se diversifient. Nous sommes donc vigilants. Nous sommes en ce moment même en train de travailler sur le plan d’action pour 2022. Les risques évoluent. Il y a encore 5-10 ans, nous n’imaginions même pas qu’une agression au couteau dans un accueil puisse survenir. Les attaques cyber, le vol de données, la radicalisation islamiste, la délinquance sous toutes ses formes, les troubles sociaux… viennent compléter le paysage mental des responsables de sûreté.

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